ENTRETIEN AVEC LE PERE ZENON
L ICONE UNE PRIERE EN IMAGE
Le visage encore jeune, le corps fragilisé par l'ascèse, le père Zénon nous reçoit avec un grand sourire dans son atelier-ermitage, à la frontière de l'Estonie, où il vit avec trois autres moines.
Le père Zénon, iconographe de renom, est un ardent défenseur de la tradition orthodoxe et un fervent adepte du rapprochement des Églises chrétiennes. Son exigence associée à son esprit d'ouverture lui ont procuré de grandes difficultés mais aussi des sympathisants. Aujourd'hui dans son ermitage perdu dans un désert de neige règne la sérénité.
Une planche creusée dans du noisetier et enduite de lefka repose sur une large table contre une baie vitrée de plus de 8 m de long. Dehors, il fait ?20°, dans son atelier +15°.
Le père Zénon écrit à l'encaustique l'icône de la sainte Face du Christ. Dans le trait de son dessin se gravent puissance et douceur, dans la couleur de ses pigments audace et délicatesse.
Le père nous invite à prendre une tasse de thé avec une confiture au melon et au citron. Il s'adresse à l'interprète russe, Galina, en rythmant ses mots par de grands gestes qui dessinent des phrases dans l'espace. Avec simplicité, il répond à nos questions. Il commence par s'excuser : « Nos icônes parlent mieux que nos mots ».
Art sacré (AS) : Sans parler de la technique, quelles sont les règles fondamentales de l'iconographie ?
Père Zénon (PZ) : L'icône est une prière, elle est faite pour la prière, pour la liturgie. Elle n'est pas un élément extérieur, décoratif. Elle est peinte pour l'Église, dans l'obéissance à l'Église.
AS : L'icône est-elle une prière en image ?
PZ : Oui, image de la Personne, image du Dieu incarné. La technique est importante, mais l'image la précède. Il n'y a jamais de répétition, jamais de reproduction stéréotypée, l'image est unique. Chaque icône est unique.
Elle n'est pas une oeuvre d'art que l'on admire, mais une oeuvre d'Église qui nous prédispose à la communion. Une relation personnelle au Dieu personnel.
AS : Un Dieu personnel ?
PZ : La difficulté éventuelle est de ressentir en soi l'esprit du Christ. Donner dans l'icône l'image que l'on a reçue dans son coeur, cela demande beaucoup de prière, beaucoup de concentration, de réflexion, beaucoup d'efforts de l'âme.
AS : Pas d'imagination ?
PZ : L'imagination est étrangère à l'iconographie, elle n'est pas la contemplation. Pour unifier son intuition l'iconographe doit toujours être membre de l'Église et participer aux mystères eucharistiques. L'imagination déborde, la contemplation concentre, elle permet la rencontre de l'image avec son prototype. (proton = premier)
AS : Comment passer d'un Dieu invisible à l'icône visible ?
PZ : L'icône n'est pas un portrait mais l'image d'une Présence. Nous pourrions la comparer à la psalmodie ou au sermon du prêtre. Il y a le mot avec son sens, sa grammaire, sa technique mais c'est le souffle qui rend vivante la syllabe. Le mystère n'est pas caché dans la forme, mais blotti dans l'Esprit qui repose dans le souffle. C'est donc une écoute, une vision intérieure accompagnée de l'obéissance au texte. Saint Paul dit : "Nous contemplons d'une manière symbolique les réalités spirituelles."
L'icône a une base symbolique qui nous aide à découvrir les réalités futures. Comme le miroir renvoie l'image de l'objet, l'icône devient un miroir transparent qui se laisse traverser par la Présence du Tout Autre, tout en se laissant découvrir par les yeux qui la regardent.
AS : Est-ce une vision analogique ?
PZ : Ni analogique, ni imaginative, ni divinatoire, mais épiphanique. L'icône ne suscite pas l'imagination, elle laisse voir l'épiphanie, c'est-à-dire la création transfigurée. Sa réalité ne se situe pas dans l'histoire, mais dans l'accomplissement des temps, dans l'éternité. Le fondement de l'icône est cette liaison ontologique avec le Principe (ce qui précède l'image première). Les Pères de l'Église disent : « L'honneur que nous donnons à l'image est toujours offert à l'Image première ; nous n'honorons jamais le bois, mais toujours, à travers l'image, la Présence ».
Ceci est plus facile à peindre qu'à expliquer ? dit le Père Zénon, avec un grand soupir comme s'il sortait d'une profonde méditation. Connaissant quelques épreuves douloureuses de sa vie je me permets de lui poser deux questions plus actuelles.
AS : Comment passer de la Tradition à la modernité ?
PZ : Ce qui est le plus actuel, c'est la Tradition avec un grand « T ». Il ne faut pas la confondre avec les coutumes et les traditions locales. La Tradition c'est la foi vivante. Foi qui est révélée pour tout le monde, toujours et partout. La Tradition ne doit jamais céder face à la modernité. Elle n'est pas figée, elle se situe dans un immuable présent. L'essentiel dans la Tradition d'aujourd'hui est de sentir, de ressentir, d'apprendre à écouter, à connaître, à reconnaître. En parler ne suffit pas, il faut la mettre en pratique pour témoigner au monde de sa vérité. Ceux qui parlent de Dieu et ne le rencontrent pas, engendrent la polémique.
AS : Comment montrer Dieu ?
PZ : Par le rayonnement de notre vie, de nos regards, de nos gestes. Par le témoignage concret de notre foi. Nous pouvons lire dans Ezéchiel...
Après avoir fait un signe de croix, il ouvre sa Bible, lentement, il commence à lire d'une voix grave :
« La parole de Dieu me fut adressée, en ces mots : Fils de l'homme, je t'établis comme sentinelle sur la maison d'Israël. Tu écouteras la parole qui sortira de ma bouche, et tu les avertiras de ma part. Quand je dirai au méchant : Tu mourras ! si tu ne l'avertis pas, si tu ne parles pas pour détourner le méchant de sa mauvaise voie et pour lui sauver la vie, ce méchant mourra dans son iniquité, et je te redemanderai son sang.
- Mais si tu avertis le méchant, et qu'il ne se détourne pas de sa méchanceté et de sa mauvaise voie, il mourra dans son iniquité, et toi, tu sauveras ton âme.
-Si un juste se détourne de sa justice et fait ce qui est mal, je mettrai un piège devant lui, et il mourra ; parce que tu ne l'as pas averti, il mourra dans son péché, on ne parlera plus de la justice qu'il a pratiquée, et je te redemanderai son sang.
-Mais si tu avertis le juste de ne pas pécher, et qu'il ne pèche pas, il vivra, parce qu'il s'est laissé avertir, et toi, tu sauveras ton âme » (Éz 3, 16-21).
Le Seigneur insiste auprès d'Ezéchiel, lui disant que chacun demeure responsable de son action, mais qu'il aura à rendre compte de son témoignage auprès des méchants et des justes. « Va vers mon peuple et parle lui... »
AS : Comment distinguer la modernité du prophétisme ?
PZ : Le prophétisme n'a rien à voir avec l'art divinatoire, les prédictions. Chaque nouveau baptisé reçoit du prêtre le charisme, la dignité de « roi, prêtre et prophète ».
Nous devons retrouver en nous-mêmes celui qui prépare la venue du Messie. Nous devons le faire en annonçant aux fidèles la Bonne Nouvelle, en parlant la langue qu'ils comprennent. Aujourd'hui les fidèles sont las des discours, ils n'ont plus envie d'entendre des mots, ils recherchent des exemples à suivre. Il faut faire voir. Il ne faut pas dire « regardez » mais apprendre aux fidèles à regarder. Leur faire découvrir le sens profond du repentir. Distinguer le repentir de la prise de conscience. On reconnaît un arbre à ses fruits, un homme à ses úuvres.
AS : Le monachisme est-il compatible avec la modernité ?
PZ : Le monachisme du IVe siècle, comme l'a vécu saint Antoine, est impossible à vivre aujourd'hui. Le moine n'est pas meilleur que les autres hommes, son habit ne le protège de rien, parfois au contraire. Le monachisme doit rester dans le cadre de l'Église.
Le moine est un chrétien qui décide de suivre le Christ au plus près, avec plus d'abnégation, qui décide d'auto-contrôler ses pulsions et qui se laisse vérifier par son Père spirituel dans le combat des passions. Le monachisme, c'est l'aspiration à la ressemblance au Christ. Saint Silouane dit : « Le saint ressemble au Christ ». Il est important de voir rayonner la joie sur son visage.
AS : Que pouvons-nous répondre aux fidèles qui reprochent aux moines de s'adapter au progrès ?
PZ : Qu'ils viennent vous rendre visite à cheval. Il y a une évolution inévitable mais elle doit toujours nous ramener auprès de Dieu. L'ascèse ne nous sépare pas de ce qui existe, mais nous suscite à répondre « présent » à la Lumière par la transparence de notre vie, de notre être. La vie est dynamique par nature, chaque arrêt est une mort. Soyons des êtres théophores, porteurs de Dieu.
Entretien réalisé à Pskov par le père Gérasime en janvier 2003.
pour la revue "Art sacré", No 15, 2003.
Article paru dans le bulletin n°32-septembre 2007- Lumière du Thabor.
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