Icones - Idoles une mise au point importante

L’idole et l’icône, deux sens opposés de l’image de Dieu

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La chanteuse Madonna et la Madone.

Décédé le 5 décembre dernier, Johnny Halliday était couramment appelé « l’idole des jeunes ». La quasi-vénération de certaines « stars » évoque l’interdiction biblique de l’idolâtrie. Qu’est-ce qu’une idole pour la Bible? Qu’est-ce qui la distingue d’une icône? 

Au moins depuis Elvis Presley, de nombreux chanteurs et chanteuses, acteurs et actrices, ont mérité ce titre d’ »idole »: James Dean, Michael Jackson, Madonna… La liste est longue. De fait, l’adhésion que suscitent ces artistes dépasse la simple appréciation esthétique de leurs œuvres, mais implique souvent un attachement, une identification, voire une dévotion à leur personne, qui s’apparente à une attitude religieuse, censée être réservée à une divinité.

A côté de ces idoles modernes, il y a également… des icônes. Ainsi, on pourra dire de Mère Teresa, de Nelson Mandela, du pape François ou du Dalaï-Lama qu’ils sont des icônes, pas des idoles. Parce que quelque chose transparaît dans ces personnes, un charisme, une sérénité, l’accomplissement de quelque chose qui nous dépasse, une forme de sainteté, bref, quelque chose qui vient d’au-delà d’elles-mêmes.

On peut aussi parler d’icônes de la chanson , comme France Gall décédée le weekend dernier, ou de la mode…
Parfois, il n’est pas aisé de distinguer entre l’idole et l’icône. En la différenciant de l’icône, on pourra considérer qu’une idole ramène plutôt à soi, n’indique rien au-delà de soi, comme si la lumière qui émane d’elle venait… d’elle-même, et non pas d’un ailleurs.

Un rapport à Dieu

Certes, tout dépend du sens que l’on donne aux mots, qui sont toujours ancrés dans une référence culturelle, voire religieuse, mais qui évoluent aussi au gré des usages et des modes. Prenons cependant cette option: une icône n’est pas une idole, l’une et l’autre ont un sens différent, voire opposé. Qu’est-ce qu’une idole, et qu’est-ce qu’une icône? Et qu’est-ce qui différencie ces deux notions? Pour approcher la signification respective de l’idole et de l’icône d’un point de vue chrétien, tournons-nous vers les Ecritures, qui nous révèlent que l’une et l’autre ont un rapport à Dieu. La réalité de l’idole implique une certaine relation à une divinité, voire à Dieu lui-même, relation qui sera qualifiée d’ »idolâtrie ». L’icône implique également un certain rapport à Dieu, mais fort différent de l’idolâtrie.

Dans l’Ancien Testament, le livre de l’Exode relate les termes de l’Alliance que Dieu conclut avec le peuple hébreu, après l’avoir libéré d’Egypte. Avant de sceller cette Alliance, Dieu détaille longuement les conditions de celle-ci à Moïse, en commençant par le décalogue, les « dix commandements ».

En voici le premier: « C’est moi le Seigneur ton Dieu, qui t’ai fait sortir du pays d’Egypte, de la maison de servitude: tu n’auras pas d’autres dieux face à moi. Tu ne te feras pas d’image taillée (« pecel »), ni rien qui ait la forme de ce qui se trouve au ciel là-haut, sur terre ici-bas ou dans les eaux sous la terre. Tu ne te prosterneras pas devant ces dieux et tu ne les serviras pas, car c’est moi le Seigneur ton Dieu » (Ex. 20, 2-5).

Ces versets rappellent un aspect essentiel de la foi d’Israël, et de la foi chrétienne à sa suite: Dieu est l’Unique – comme le formulent bien d’autres passages bibliques. C’est-à-dire qu’il est le Transcendant, l’Insaisissable, au-delà de toute compréhension et de toute perception. Cette foi – qui n’est pas sans contenir une dimension philosophique importante: si Dieu existe, il ne peut être qu’Un – implique qu’aucune autre réalité ne peut, dans le cœur de l’homme, tenir la place de cette Réalité ultime. D’où la vanité radicale – au sens de ce qui est absolument vain – d’adorer d’autres divinités à côté de Dieu, que ce soit le soleil, la lune, des animaux, etc.

D’où, aussi, l’interdiction de se fabriquer des idoles, c’est-à-dire des « images » de divinités, et de les adorer en lieu et place du Dieu Un. Les Hébreux, cependant, ne tarderont pas à transgresser cet interdit absolu, comme le montre le célèbre épisode du « veau d’or »: « Voici tes dieux, Israël, ceux qui t’ont fait monter du pays d’Egypte » (Ex. 32, 4).

L’idolâtrie de Dieu

Le rejet des idoles, exprimé dans ces textes, se réfère bien sûr aux pratiques des nations qui entouraient Israël dans le Proche-Orient antique, pratiques qui étaient donc qualifiées d’idolâtrie: attribuer illusoirement à une créature, fût-ce un élément cosmique, ce qui est le propre de Dieu seul, et rendre un culte à l’image de cette fausse divinité. Pour éviter toute tentation d’idolâtrie, il n’est d’ailleurs pas permis en Israël de représenter quoi que ce soit.

Il n’est donc pas permis non plus de représenter le Dieu Unique par une image. Pourquoi? Dans la conception biblique, le risque est en effet trop grand de réduire Dieu à l’image que l’on ferait de lui. En ce sens, l’idolâtrie ne concerne pas seulement les divinités païennes, qui ne sont que néant, mais peut aussi concerner Dieu lui-même. Dieu, l’insaisissable Transcendance, peut en effet devenir une idole, lorsqu’on le ramène, lorsqu’on le rabaisse à la représentation que l’on peut avoir de lui. Ce n’est alors plus Dieu que l’on adore, que l’on aime, en qui on met sa foi, mais notre image de Dieu, ou en d’autres termes: Dieu à notre image, tel que nous nous le représentons, ou tel qu’on voudrait qu’il soit.

L’histoire de la foi est remplie de cette forme d’idolâtrie. Chaque fois que l’on prend son idée de Dieu pour la Réalité ultime de Dieu, nous sommes dans l’idolâtrie. Cela vaut, par exemple, pour la toute-puissance de Dieu, que l’on va définir à partir de nos critères humains, au lieu de recevoir ce qu’elle signifie de Dieu lui-même. Toute image de Dieu, toute idée de Dieu, aussi élaborée soit-elle, ne saurait être au mieux qu’un pâle reflet de qui est Dieu, et le risque consiste toujours à limiter, à enfermer Dieu dans l’image que nous avons de Lui, et de ce qu’Il peut faire ou ne pas faire… au service de nos intérêts. C’est pourquoi la religion israélite s’est toujours refusée à produire une image de Dieu. Dieu n’est pas Celui qu’on voit et qu’on saisit, mais Celui qui parle et qu’on écoute, qu’on accueille.

Image de Dieu

Si l’image de Dieu comme de toute créature est interdite en « régime » biblique, comment expliquer alors que l’on puisse produire des icônes en régime chrétien, comme c’est en particulier le cas dans le christianisme orthodoxe? L’icône – du grec eikôn, image – n’implique-t-elle pas une forme d’idolâtrie, selon les critères de la Bible?

Cette question a secoué l’Orient chrétien pendant plusieurs siècles. Face aux vagues iconoclastes (principalement aux VIIIe et IXe siècles), détruisant les icônes au nom de l’interdit biblique, saint Jean Damascène écrivit ceci: « Si nous fabriquions une image du Dieu invisible, sans nul doute commettrions-nous une faute, car il est impossible de représenter en image ce qui est incorporel, sans forme, invisible et qui n’est pas circonscrit; ou bien encore si nous fabriquions des images d’hommes, et si nous pensions que ce sont des dieux et les adorions comme tels, sans nul doute serions-nous impies. Mais nous ne faisons rien de tout cela. C’est du Dieu fait chair, qui a été vu sur la terre en sa chair et qui a vécu parmi les hommes dans son indicible bonté (…), c’est de lui que nous fabriquons une image. »

La possibilité théologique et spirituelle de l’icône réside donc dans l’Incarnation: en Jésus-Christ, « image du Dieu invisible » (Colossiens 1,15), Dieu est devenu visible. Ainsi, lorsque nous contemplons et vénérons le Christ, c’est Dieu lui-même que nous contemplons. Dans cette vénération, toutes nos facultés sont sollicitées, au service de la foi qui implique le cœur de notre être, mais aussi notre intelligence, notre volonté, nos sens intérieurs et extérieurs.

Lorsque nous contemplons le Christ à travers une icône, c’est l’image visible du Dieu invisible que nous accueillons. A condition, toutefois, de nous rappeler que l’icône, tout en laissant transparaître quelque chose du mystère de Dieu, ne saurait en aucun cas contenir ce Mystère. Il ne fait que l’évoquer, renvoyer vers ce qui nous dépassera toujours. En ce sens-là, chacune et chacun de nous, à la suite du Christ et dans l’Esprit, pouvons également être « image et ressemblance » de Dieu pour les autres. Etre une idole revient, au contraire, à diviniser notre propre vacuité.

Christophe HERINCKX (Fondation Saint-Paul)

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